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14 Septembre – LE VRAI BOO RADLEY

 

 

Le dimanche soir, je me suis efforcé de relire L’Attrape-cœurs jusqu’à l’épuisement, dans l’espoir de m’endormir. Ça n’a pas fonctionné. J’avais du mal à me concentrer. Je n’ai pas réussi à me fondre dans le personnage de Holden Caulfield, à me perdre dans l’histoire comme il l’aurait fallu, à devenir quelqu’un d’autre. Je n’étais pas seul dans ma tête, pleine de médaillons, d’incendies, de voix. De gens que je ne connaissais pas, et de visions dont la compréhension m’échappait.

D’autre chose, aussi. Reposant le livre, j’ai glissé mes mains derrière ma nuque.

Lena ? Tu es là, hein ?

J’ai fixé le plafond bleu.

Inutile de te taire. Je sais que tu es là. Ici. Peu importe.

J’ai attendu jusqu’à ce qu’elle me réponde. Son timbre s’est déplié, tel un minuscule et vivace souvenir caché dans le recoin le plus sombre, le plus lointain de mon cerveau.

Non. J’y suis sans y être.

Si. Tu as été présente toute la soirée.

Je dors, Ethan. Du moins, je dormais.

J’ai souri.

Non, tu écoutais.

Non.

Si, admets-le.

Vous les mecs ! Vous croyez toujours être le centre du monde. Si ça se trouve, ce bouquin me plaît, rien de plus.

Peux-tu t’inviter ainsi où bon te semble ?

Il y a eu un long silence.

Normalement, non. Mais ce soir, ça s’est fait tout seul. J’ai encore des difficultés à saisir comment ça fonctionne.

Nous pourrions interroger quelqu’un.

Qui ?

Aucune idée. Il va falloir nous débrouiller seuls, j’imagine. Comme pour tout le reste.

Nouveau silence. J’ai tâché de ne pas me demander si le « nous » l’effrayait, au cas où elle m’entendrait. Ça ou l’autre chose ; elle ne tenait pas à ce que je découvre quoi que ce soit la concernant.

N’essaye pas.

Souriant, j’ai senti que mes paupières se fermaient. Je n’arrivais pas à les garder ouvertes.

J’essaye.

J’ai éteint la lampe de chevet.

Bonne nuit, Lena.

Bonne nuit, Ethan.

Pourvu qu’elle ne soit pas capable de lire toutes mes pensées ! Le basket. J’allais être obligé de consacrer plus de temps à réfléchir au basket. Pendant que je révisais le manuel pratique, mes yeux se sont définitivement clos, j’ai coulé, j’ai perdu le contrôle…

 

Noyade.

Je me noyais.

Je me débattais dans l’eau verte, submergé par les vagues. Mes pieds cherchaient le fond boueux d’une rivière, la Santee peut-être – en vain. Je distinguais de la lumière qui flottait à la surface, à laquelle je ne parvenais pas à remonter cependant.

Je m’enfonçais.

C’est mon anniversaire, Ethan. C’est en train de se produire.

Je tendais le bras. Elle attrapait mes doigts, je me tortillais pour la retenir, mais elle s’éloignait, m’échappait au fil du courant. Je tentais de crier en regardant sa petite main pâle dériver dans l’obscurité, l’eau emplissait ma bouche, je n’émettais aucun son. Je suffoquais. Je perdais peu à peu conscience.

Je t’avais prévenu. Tu dois me laisser partir.

 

Je me suis assis dans mon lit. Mon tee-shirt était trempé. Mon oreiller, humide. Mes cheveux, mouillés. Une atmosphère moite régnait dans ma chambre. J’avais sûrement oublié de fermer la fenêtre. Une fois de plus.

— Ethan Wate ! Vas-tu m’écouter ? Tu as intérêt de descendre en vitesse, sinon tu seras privé de petit déjeuner.

Je me suis glissé sur ma chaise à l’instant où trois œufs sur le plat tout juste cuits glissaient sur mon assiette de pain perdu.

— Bonjour, Amma.

Elle m’a tourné le dos sans daigner m’adresser un regard.

— Il n’y a pas de bonjour qui tienne, garde tes fadaises pour toi, a-t-elle ronchonné.

Elle était encore furieuse. Je ne savais pas trop si c’était parce que j’avais séché les cours ou parce que j’avais rapporté le camée à la maison. Les deux, sans doute. Je comprenais sa colère. J’étais un élève plutôt sage, d’ordinaire. Mon attitude était nouvelle.

— Je suis désolé d’avoir quitté le lycée vendredi, Amma. Ça ne se répétera pas. Tout va redevenir normal.

Ses traits se sont adoucis – rien qu’un peu –, et elle s’est assise en face de moi.

— Je ne crois pas. Nous faisons tous des choix, qui ont des conséquences. Je pense que tu paieras les tiens très chers quand tu arriveras à l’école, tout à l’heure. Au moins, tu commenceras peut-être à m’obéir. Tiens-toi à distance de cette Lena Duchannes. Et de cette maison.

Amma n’était pas du genre à se rallier à l’opinion générale, dans la mesure où cette opinion était souvent erronée. À la façon dont elle a continué à touiller son café alors que le lait s’y était dissous depuis longtemps, j’ai deviné qu’elle était soucieuse. Amma s’inquiétait constamment pour moi, raison de mon amour à son égard. Cependant, quelque chose avait changé dès que je lui avais montré le médaillon. Contournant la table, je l’ai enlacée et serrée contre moi. Il émanait d’elle une odeur familière de mine de crayon et de bonbons à la cannelle.

— Je ne veux plus entendre parler d’yeux verts et de cheveux bruns, a-t-elle grondé en secouant la tête. Il va y avoir un vilain nuage, aujourd’hui, alors sois prudent.

Amma ne virait pas seulement au noir, ce matin-là. Elle virait carrément au noir d’encre. Moi-même, j’ai senti venir le vilain nuage.

 

Link a déboulé au volant de La Poubelle qui crachait à fond une musique atroce, comme d’habitude. Lorsque je me suis installé à côté de lui, il a baissé le son. Ce qui, d’ordinaire, n’augurait rien de bon.

— On est dans la panade.

— Je sais.

— Toute une foule est prête au lynchage, ce matin à Jackson.

— Qu’as-tu appris ?

— Ça a commencé vendredi soir. J’ai entendu ma mère en parler. J’ai essayé de te joindre. Où étais-tu ?

— Je faisais semblant d’enterrer un médaillon ensorcelé à Greenbrier pour obtenir d’Amma qu’elle me laisse rentrer à la maison.

Il a ri. Avec Amma, les sortilèges, les amulettes et le mauvais œil étaient monnaie courante.

— Au moins, elle ne t’oblige pas à porter un sachet puant l’oignon autour du cou. C’était dégueu, ça.

— De l’ail, pas de l’oignon. Pour l’enterrement de ma mère.

— N’empêche, c’était dégueu.

Le truc, avec Link, c’est que depuis que nous étions amis, après le coup de la moitié de gâteau qu’il m’avait donnée dans le bus, il se fichait pas mal de ce que je disais ou de ce que je faisais. Les choses étaient comme ça, à Gatlin. Vous saviez sur quels amis compter. Tout avait eu lieu dix ans auparavant. Pour nos parents, tout avait eu lieu vingt ou trente ans auparavant. Quant à la ville elle-même, il semblait bien que rien n’avait eu lieu depuis plus d’un siècle. Rien qui ait des conséquences, s’entend.

Là, j’avais le pressentiment que ça allait changer.

Ma mère aurait soutenu qu’il était grand temps. S’il y avait une chose qu’elle appréciait, c’était le changement. Contrairement à celle de Link. Mme Lincoln était une enragée qui se croyait chargée d’une mission sacrée et qui était dotée d’un solide réseau de relations – une combinaison dangereuse. Lorsque nous étions en cinquième, elle avait arraché du mur la prise du câble, parce qu’elle avait surpris Link en train de regarder un Harry Potter, films et livres contre lesquels elle avait lancé une campagne de bannissement de la bibliothèque municipale sous prétexte qu’ils prônaient la sorcellerie. Par bonheur, Link avait réussi à se faufiler chez Earl Petty pour regarder MTV. Sinon, Qui a tué Lincoln ? ne serait jamais devenu le premier – comprenez l’unique – groupe de rock de Jackson.

Mme Lincoln avait toujours représenté une énigme pour moi. Lorsqu’elle tombait sur le tapis de la conversation, ma mère levait les yeux au ciel et lâchait : « Link est peut-être ton meilleur ami, mais ne compte pas sur moi pour m’inscrire chez les FRA ni pour enfiler une robe à crinoline et participer à une reconstitution historique. » Alors, tous deux, nous éclations de rire, rien qu’à l’imaginer en Fille de la Révolution organisant des ventes de gâteaux et expliquant à tout un chacun comment décorer son intérieur, elle qui crapahutait des heures durant dans la boue des champs de bataille à la recherche de douilles et de balles et qui se coupait les cheveux au sécateur.

Mme Lincoln, en revanche, était le portrait craché de la FRA typique. Elle était la secrétaire locale du groupe et siégeait au conseil d’administration en compagnie des mères de Savannah Snow et d’Emily Asher, tandis que la mienne passait l’essentiel de son temps plongée dans des microfilms, à la bibliothèque.

Avait passé l’essentiel de son temps.

 

Link n’avait cessé de jacasser. Au bout d’un moment, j’en avais entendu assez pour commencer à vraiment l’écouter.

— Ma mère, celle d’Emily, celle de Savannah… elles ont fait exploser leurs notes de téléphone, ces deux derniers jours. Ma vieille, elle a mentionné la vitre brisée au bahut, le sang sur les mains de la nièce de ce Vieux Fou de Ravenwood.

Sans même reprendre haleine, il a bifurqué.

— Ta chérie sortirait à peine d’un asile de Virginie, elle serait orpheline et elle souffrirait de schizophrénie bipolaire ou je ne sais quoi.

— Ce n’est pas ma chérie, nous sommes juste amis, ai-je automatiquement objecté.

— La ferme. Tu es tellement sous influence que je devrais t’acheter une laisse de toutou.

Une remarque qu’il aurait appliquée à propos de n’importe quelle fille à qui j’aurais adressé la parole ou que j’aurais simplement matée dans le couloir.

— Je te le jure, il ne s’est rien passé. On discute, c’est tout.

— Tu refoules autant la merde que des chiottes bouchées, Wate. Elle te botte, reconnais-le.

La subtilité n’était pas le fort de Link. Je ne crois pas qu’il aurait pu envisager un instant de fréquenter une nana pour d’autres raisons que les raisons habituelles évidentes ; à moins, peut-être, qu’elle ne joue de la guitare solo.

— Je ne prétends pas qu’elle ne me botte pas. Il n’en reste pas moins que nous ne sommes qu’amis.

Rien n’était plus exact, que ça me plaise ou non. Mais ça, c’était une autre question. Un sourire a dû m’échapper, en tout cas, car Link a fait semblant de vomir sur ses genoux, manquant de peu un camion. Il se moquait de moi. Je pouvais bien m’amouracher de qui je voulais, du moment que ça lui permettait de m’embêter.

— Alors, c’est vrai ? a-t-il demandé.

— Quoi donc ?

— Ben, est-ce qu’elle s’est échappée d’une maison de dingues en brisant tout sur son passage ?

— Une fenêtre s’est cassée, point barre. Il n’y a rien de mystérieux là-dedans.

— La mère Asher affirme qu’elle y a flanqué son poing ou qu’elle y a jeté un objet.

— Ce qui est amusant, vu que la mère Asher n’est pas inscrite à mon cours de littérature. Du moins, pas à ma connaissance.

— Ma vieille non plus, ce qui ne l’a pas empêchée de me dire qu’elle allait venir au bahut aujourd’hui.

— Formidable ! Garde-lui une place à notre table, à la cantine.

— Si ça se trouve, Lena a provoqué des incidents pareils dans tous ses lycées. C’est pour ça qu’elle a été placée dans une institution.

Il était sérieux, à présent. Ça signifiait qu’il avait dû en apprendre beaucoup en deux jours. Durant une seconde, je me suis souvenu de l’adjectif que Lena avait utilisé pour qualifier sa vie. Compliquée. Cette histoire d’internement constituait-elle une de ces complications ? Ou n’était-elle qu’un des vingt-six mille détails qu’elle disait ne pas pouvoir aborder ? Et si toutes les Emily Asher du monde avaient raison ? Si j’avais choisi le mauvais parti ?

— Sois prudent, mec, a repris Link. Il est possible qu’elle ait sa place réservée à Dingoland.

— Si tu crois ça, tu es vraiment débile.

Nous avons poursuivi notre route sans échanger un mot. J’étais agacé, bien que j’aie conscience que Link essayait seulement de me protéger. C’était plus fort que moi, cependant. Tout me paraissait nouveau, ce jour-là. Une fois sur le parking, je suis descendu de voiture en claquant la portière.

— Je m’inquiète pour toi, mon pote ! m’a lancé Link. Tu te comportes bizarrement, ces derniers temps.

— Et alors ? Depuis quand on est mariés, toi et moi ? Tu ferais mieux de t’inquiéter des raisons qu’ont les filles de refuser de te parler, bizarres ou pas.

À son tour, il est sorti de La Poubelle et a regardé en direction de l’administration.

— En tout cas, je te conseille de prévenir ton « amie », quel que soit le sens que tu donnes à ce terme. Elle a intérêt à se tenir à carreau, aujourd’hui. Vise un peu.

Mmes Lincoln et Asher discutaient avec le proviseur Harper sur les marches du perron. Blottie près de sa mère, Emily s’efforçait d’afficher une mine malheureuse. Mme Lincoln était en train de sermonner Harper, lequel opinait comme s’il essayait de mémoriser la moindre de ses phrases. S’il dirigeait Jackson, il savait pertinemment qui régentait la ville. Il affrontait deux de ses tyrans en ce moment même. La mère de Link ayant terminé sa mercuriale, Emily s’est lancée dans un récit particulièrement animé de l’incident de la fenêtre brisée. Dans un geste puant de compassion, Mme Lincoln a posé une main sur son épaule. Le proviseur a acquiescé avec accablement.

Pas d’équivoque – c’était bien une journée lourde de nuages qui s’annonçait.

 

Assise derrière le volant du corbillard, Lena griffonnait dans son calepin usé. Le moteur refroidissait en cliquetant. J’ai cogné à la vitre, et elle a sursauté avant de jeter un coup d’œil vers les bureaux du lycée. Elle non plus n’avait pas manqué de remarquer les deux mégères.

Je lui ai fait signe d’ouvrir la portière, mais elle a refusé d’un signe de la tête. J’ai contourné la voiture. La portière passager était également verrouillée. Elle n’allait pas se débarrasser de moi aussi facilement. Laissant tomber mon sac sur le gravier, je me suis assis sur le capot. Il était hors de question que je m’éloigne.

Qu’est-ce que tu fiches ?

J’attends.

Tu risques d’attendre longtemps.

Ça m’est égal.

Elle m’a toisé à travers le pare-brise. J’ai entendu les loquets s’abaisser.

— T’a-t-on jamais dit que tu étais cinglé ? a-t-elle tempêté en venant se planter devant moi, bras croisés, comme Amma quand elle me grondait.

— Pas aussi cinglé que toi, d’après les rumeurs.

Ses cheveux étaient noués en arrière dans un foulard de soie noire orné de fleurs de cerisier rose vif quelque peu ostentatoires. Je me la suis imaginée en train de s’étudier dans un miroir avec l’impression qu’elle se rendait à son propre enterrement et tâchant de se redonner le moral. Un long machin, sorte de croisement entre un tee-shirt et une robe, tombait sur son jean et ses Converse. Fronçant les sourcils, elle a de nouveau contemplé le bâtiment de l’administration. Les harpies devaient avoir investi le bureau du proviseur, maintenant.

— Les entends-tu ?

— Non. Je ne lis pas dans l’esprit des gens, Ethan.

— Dans le mien, si.

— Pas exactement.

— Et ce qui s’est passé hier soir ?

— Je te le répète, j’ignore pourquoi ça se produit. Nous semblons… unis.

Le mot a paru difficile à sortir, ce matin-là, et elle a fui mon regard.

— Ce n’était encore jamais arrivé avec personne, a-t-elle précisé.

J’aurais aimé lui confier que je comprenais ce qu’elle éprouvait. J’aurais aimé lui avouer que, quand nous étions ainsi reliés par l’esprit alors que nos corps se trouvaient à des millions de kilomètres l’un de l’autre, je me sentais plus proche d’elle que de n’importe qui. Je n’ai pas pu, cependant. Je n’ai même pas osé le penser. À la place, j’ai pensé au manuel de basket, au menu de la cafète, aux couloirs couleur soupe aux pois que je n’allais pas tarder à arpenter. À tout, sauf à elle.

— Je connais ça, ai-je répondu en penchant la tête, les filles n’arrêtent pas de me le répéter.

Imbécile ! Plus j’étais nerveux, pires étaient mes plaisanteries. Elle a eu un petit sourire hésitant.

— Inutile de vouloir me rasséréner, ça ne marchera pas.

Sauf que si, ça marchait. Je me suis tourné en direction du perron.

— Si ce qu’elles ont balancé à Harper t’intéresse, je suis en mesure de te le répéter.

— Comment ça ?

— N’oublie pas que nous sommes à Gatlin. Les secrets n’y existent pas.

— La situation est grave ? Me prennent-elles pour une folle ?

— Plutôt, oui.

— Et je représente un danger pour les autres élèves ?

— Sûrement. Nous n’aimons guère les étrangers, par ici. Ni les étranges. Et, sans vouloir offenser personne, qui est plus étrange que Macon Ravenwood ?

Je lui ai souri. La première sonnerie a retenti. Lena m’a attrapé par la manche, anxieuse.

— Hier soir… j’ai rêvé. As-tu…

J’ai opiné. Inutile de le formuler. Il était évident qu’elle avait partagé mon rêve.

— J’avais même les cheveux mouillés.

— Moi aussi.

Elle a tendu le bras. Une trace marquait son poignet, là où mes doigts avaient tenté de la retenir. Avant qu’elle ne se noie dans les ténèbres. J’aurais préféré qu’elle n’ait pas assisté à cette partie du cauchemar mais, à son expression, j’ai deviné que si.

— Je suis désolé, Lena.

— Ce n’est pas ta faute.

— Je voudrais comprendre pourquoi ces rêves sont aussi vivaces.

— Je t’ai averti. Tu ferais mieux de m’éviter.

— Ne te bile pas, je me considère comme averti.

Quelque part, je m’en savais incapable. De l’éviter. Même si j’allais entrer dans le lycée et affronter tout un tas d’ennuis. Ça n’avait pas d’importance. Il était bon d’avoir quelqu’un à qui parler sans être obligé de surveiller le moindre de mes mots. Or, j’arrivais à parler à Lena. À Greenbrier, j’avais eu l’impression que j’aurais pu rester assis dans l’herbe et discuter avec elle pendant des jours. Plus. Aussi longtemps qu’elle serait là à m’écouter.

— Qu’est-ce que ton anniversaire a de si particulier ?

Elle s’est empressée de changer de sujet.

— Et le camée ? As-tu vu les mêmes choses que moi ? L’incendie ? La scène au jardin ?

— Oui. J’étais à l’église et j’ai failli tomber de mon banc. J’ai découvert quelques éléments auprès des Sœurs. Mes trois grands-tantes. Les initiales ECW sont pour Ethan Carter Wate, mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-oncle. D’après mes folles de tantes, on m’a prénommé Ethan en sa mémoire.

— Pourquoi n’as-tu pas deviné tout de suite ?

— C’est le plus bizarre. Je n’avais jamais entendu parler de cet ancêtre. Fort opportunément, il ne figure pas sur l’arbre généalogique que nous avons à la maison.

— Et GKD ? Le G est pour Genevieve, n’est-ce pas ?

— Mes tantes n’avaient pas l’air de savoir. Pourtant, c’est forcément ça. Elle est la jeune fille des visions. Le D doit être celui des Duchannes. Je voulais interroger Amma, ma gouvernante, mais quand je lui ai montré le médaillon, les yeux ont failli lui sortir de la tête. À croire qu’il a été ensorcelé trois fois plutôt qu’une, trempé dans un seau de vaudou et soumis à un sortilège pour faire bonne mesure. Malheureusement, je n’ai pas accès au bureau de mon père, où sont conservés les livres ayant appartenu à ma mère, sur la guerre de Sécession et Gatlin. Et si tu en parlais à ton oncle ?

— Il ne saura rien. Où as-tu mis le médaillon ?

— Dans ma poche. Enfermé dans une bourse pleine de poudre. Amma croit que je l’ai rapporté à Greenbrier. Et enterré.

— Elle doit me détester.

— Pas plus que mes autres copines. Enfin, des amies. Des amies filles, je veux dire. (Bon sang ! Qu’est-ce que je pouvais être idiot, parfois !) Allons en cours avant de nous attirer d’autres ennuis, d’accord ?

— J’envisageais plutôt de rentrer chez moi. Il me faudra les affronter tôt ou tard, mais j’apprécierais de vivre dans le déni un jour de plus.

— Tu ne risques pas d’avoir des problèmes en séchant ?

Elle a éclaté de rire.

— De la part de mon oncle ? L’infâme Macon Ravenwood qui considère que les études sont une perte de temps ? Et qu’il vaut mieux fuir comme la peste les citoyens de Gatlin ? Il sera ravi, au contraire !

— Dans ce cas, pourquoi te donnes-tu la peine de venir au lycée ?

Si sa mère ne l’y avait pas forcé tous les matins, Link n’aurait jamais mis les pieds à Jackson. Lena a joué avec une des babioles de son collier – une étoile à sept pointes.

— J’ai dû croire que les choses seraient différentes, ici, a-t-elle murmuré. Que j’arriverais à nouer des amitiés, que je pourrais participer au journal du bahut ou à une activité quelconque.

— La feuille de chou des élèves ? La Défense Jackson[8] ?

— Dans mon précédent lycée, j’ai proposé ma candidature mais on m’a répondu que tous les postes étaient pris alors qu’ils manquaient toujours de rédacteurs pour sortir leur canard à temps.

Elle s’est détournée, gênée, puis a dit qu’elle devait partir. Je lui ai ouvert le corbillard.

— À mon avis, il serait bien que tu discutes du camée avec ton oncle. Il en sait sûrement plus que tu ne l’imagines.

— Non, fais-moi confiance là-dessus.

J’ai claqué la portière. J’avais beau désirer qu’elle reste, j’étais aussi soulagé qu’elle s’éloigne. J’allais avoir assez de soucis comme ça pour la journée.

— Veux-tu que je rende ça à ta place ? ai-je proposé en désignant le calepin qui gisait sur le siège passager.

— Non, ce ne sont pas mes devoirs, a-t-elle répondu en le fourrant dans la boîte à gants. Ce n’est rien.

Rien dont elle comptait me parler aujourd’hui, en tout cas.

— Allez, file avant que Gros Lard ne rapplique par ici.

Elle a démarré sans me laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit et m’a adressé un signe de la main en décollant du trottoir.

Entendant un aboiement, je me suis retourné. L’énorme chien noir de Ravenwood se tenait à seulement quelques pas de là. Ses protestations s’adressaient à Mme Lincoln qui était ressortie des locaux administratifs. Elle m’a souri. L’animal a grondé, le poil de son échine s’est hérissé. La mère de Link l’a observé avec une telle révulsion qu’on aurait cru qu’elle contemplait Macon Ravenwood en personne. Se seraient-ils battus, je n’aurais pas parié sur le vainqueur.

— Les chiens errants sont porteurs de la rage. Il faudrait signaler celui-ci aux autorités.

— Oui, madame.

— Qui était au volant de cette étrange voiture noire ? J’ai comme l’impression que toi et cette personne étiez plongés dans une discussion passionnante.

Elle savait pertinemment de qui il s’agissait. Sa question n’en était pas une. C’était une accusation.

— Madame, me suis-je borné à ânonner.

— À propos d’étrange, le proviseur Harper m’expliquait à l’instant qu’il envisage de proposer à cette petite Ravenwood un transfert thérapeutique dans un autre établissement. Elle pourra choisir n’importe quel lycée de trois comtés différents. Du moment qu’elle quitte Jackson.

Je n’ai pas relevé. Je ne l’ai même pas regardée.

— Il est de notre responsabilité, Ethan, la mienne comme celle de M. Harper, celle de tous les parents de Gatlin, de nous assurer que les jeunes gens de cette ville ne courent aucun danger. Qu’ils ne sont pas en contact avec de mauvaises personnes.

Autrement dit, tous ceux qui ne ressemblaient pas à Mme Lincoln. Elle m’a effleuré l’épaule, comme elle l’avait fait avec Emily dix minutes plus tôt à peine.

— Je suis certaine que tu me comprends. Après tout, tu es des nôtres. Ton papa est né ici, et ta maman a été enterrée ici. Tu es de chez nous. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Je l’ai toisée, mais elle était montée dans sa voiture avant que j’aie eu le temps de trouver une réplique. Cette fois, Mme Lincoln s’était lancée dans une mission plus sérieuse que l’autodafé de quelques livres.

 

Lorsque les cours ont eu commencé, la journée est devenue anormalement normale. Bizarrement banale. Je n’ai pas recroisé le chemin d’autres parents, bien que je les aie soupçonnés de rôder autour de l’administration. Au déjeuner, j’ai englouti trois bols de crème au chocolat en compagnie de la bande, comme d’habitude. Même si le sujet de conversation que nous avons évité était criant. Le spectacle d’Emily envoyant des textos comme une malade durant le cours de littérature et de chimie a eu un effet rassurant comme en provoque une espèce de vérité universelle. Si l’on omet que je devinais ce sur quoi – ce sur qui, plutôt – portaient ses messages. Bref, un jour anormalement normal.

Jusqu’à ce que Link me dépose à la maison après l’entraînement et que je décide de faire un truc carrément dingue.

 

Amma était postée sur la véranda, une promesse sans ambiguïté d’ennuis se profilant à l’horizon.

— Tu l’as vue ?

J’aurais dû m’y attendre.

— Elle n’était pas au lycée, aujourd’hui.

La vérité, techniquement parlant.

— Tant mieux. Les problèmes collent aux basques de cette gamine comme le chien de Macon Ravenwood. Je ne tiens pas à ce qu’ils te suivent dans cette maison.

— Je monte me doucher, ai-je répliqué en grimpant les marches. On dîne bientôt ? Link et moi avons un exposé à préparer, ce soir.

Je m’étais efforcé d’adopter un ton neutre.

— Un exposé ? Quel genre d’exposé ?

— Histoire.

— À quelle heure y vas-tu et quand comptes-tu rentrer ?

J’ai claqué la porte de ma chambre afin d’éviter de répondre. J’avais un plan, mais il me fallait une histoire, et cette dernière avait intérêt à être bonne.

Dix minutes plus tard, assis à la table de la cuisine, je la tenais. Pas franchement résistante à toute épreuve, la meilleure qui me soit venue à l’esprit dans un délai aussi court, toutefois. Il ne me restait plus qu’à la dévider, sachant que je n’étais pas spécialement doué pour mentir, et qu’Amma était tout sauf une sotte.

— Link passe me chercher après manger. Nous serons à la bibliothèque jusqu’à la fermeture. Neuf ou dix heures, je crois.

J’ai versé de la Carolina Gold sur ma viande. La Carolina Gold, une moutarde spéciale barbecue gluante, était la seule chose n’ayant aucun rapport avec la guerre de Sécession qui ait rendu célèbre le comté de Gatlin.

— La bibliothèque ?

Comme raconter des salades à Amma me rendait nerveux, je m’arrangeais pour ne pas me risquer trop souvent à l’exercice. Ce soir-là, j’étais particulièrement anxieux, au point d’avoir l’estomac noué. J’aurais préféré me pendre plutôt qu’avaler trois portions de porc. Sauf que je n’ai pas eu le choix. Amma savait très exactement ce que j’étais capable d’engloutir. Si je me contentais de deux assiettes, elle deviendrait soupçonneuse. Une seule, et elle m’enverrait au lit avec le thermomètre et une cannette de ginger ale. Hochant la tête, j’ai donc entrepris de nettoyer ma deuxième ration.

— Tu n’y as pas mis les pieds depuis…

La mort de ma mère.

— Je sais.

La bibliothèque avait constitué le second foyer de ma mère. Sa seconde famille aussi. Nous y avions passé tous nos dimanches après-midi depuis que j’étais petit garçon. Je rôdais dans les allées, sortant des étagères le moindre livre ayant une image de bateau pirate, de chevalier, de soldat ou d’astronaute. « Ceci est mon église, Ethan, avait eu l’habitude de me dire ma mère. Telle est notre façon de respecter le jour saint. »

La bibliothécaire en chef du comté de Gatlin, Marian Ashcroft, était la plus vieille amie de ma mère, l’historienne la plus brillante de la ville après elle et, jusqu’à l’an passé, sa collègue de recherches. Elles avaient été diplômées de l’université de Duke la même année et, une fois sa thèse d’histoire afro-américaine achevée, Marian avait suivi ma mère à Gatlin afin d’y terminer leur premier livre commun. Elles en étaient à la moitié de leur cinquième ouvrage lorsque l’accident avait eu lieu.

Je n’étais pas retourné là-bas depuis. Je n’étais d’ailleurs pas encore prêt à le faire. Mais je savais qu’Amma ne m’interdirait jamais de m’y rendre. Elle n’appellerait même pas pour vérifier ma présence sur place. Marian Ashcroft était de la famille. Or, Amma, qui avait aimé ma mère autant que Marian l’avait aimée, respectait la famille plus que tout au monde.

— Eh bien, n’oublie pas tes manières et n’élève pas la voix. Tu te souviens de ce que disait ta maman. N’importe quel livre est une Bible, et l’endroit où est conservée la Bible est la maison du Seigneur.

Décidément, ma mère n’aurait jamais été acceptée comme membre des FRA.

Link a klaxonné. Il avait accepté de m’emmener alors que lui-même se rendait à une répétition de son groupe. Je me suis sauvé, si coupable que j’ai dû me retenir de me jeter dans les bras d’Amma et de tout lui avouer, comme si j’avais eu de nouveau six ans et que j’avais boulotté l’intégralité des réserves de chocolat. Si ça se trouve, elle avait raison – j’avais peut-être percé un trou dans le ciel, et l’univers s’apprêtait à me tomber sur la tête.

 

J’ai grimpé les marches du perron de Ravenwood, ma main serrée sur un classeur bleu luisant, mon excuse pour débarquer sans invitation chez Lena. Je passais déposer le sujet du devoir de littérature qui nous avait été assigné aujourd’hui. Tel était le prétexte que je comptais avancer, du moins. Chez moi, il m’avait paru convaincant. À présent, ce n’était plus aussi évident.

Il n’était pas dans ma nature d’agir ainsi. Mais il était clair que Lena ne m’inviterait jamais d’elle-même. Or, j’avais le pressentiment que son oncle était en mesure de nous aider, qu’il savait quelque chose.

Ou alors, c’était l’autre motivation qui m’avait poussé, j’avais envie de la voir. Sans la présence de l’ouragan Lena, la journée avait été longue et barbante, et je commençais à me demander comment j’allais supporter huit heures de cours sans tous les ennuis qu’elle m’attirait. Sans tous les ennuis que, sous son impulsion, je désirais m’attirer.

 

De la lumière filtrait à travers les fenêtres recouvertes de lierre. J’ai perçu de la musique, de vieilles chansons écrites par Johnny Mercer, le parolier géorgien que ma mère avait tant aimé. « In the cool cool cool of the evening… » Je n’ai pas eu le temps de frapper. Derrière la porte ont retenti des aboiements, puis le battant s’est ouvert à la volée sur Lena. Elle m’a paru différente. Pieds nus, vêtue d’une robe noire brodée de petits oiseaux, élégante comme si elle s’apprêtait à partir dîner dans un restaurant chic. Moi, j’avais plus l’air de me rendre au Dar-ee Keen, avec mon tee-shirt Atari troué et mon jean. Elle a avancé sur la véranda en refermant derrière elle.

— Que fiches-tu ici, Ethan ?

Assez piteusement, j’ai montré le classeur.

— Je t’ai apporté tes devoirs.

— Je n’en reviens pas que tu sois monté chez nous ! s’est-elle exclamée en me poussant déjà au bas des marches. Je t’ai pourtant dit que mon oncle n’appréciait pas les inconnus. Va-t’en. Tout de suite.

— J’espérais juste que nous pourrions lui parler.

Un raclement de gorge gêné a résonné. Levant les yeux, j’ai découvert le chien de Macon Ravenwood et, derrière lui, Macon Ravenwood en personne. Je me suis efforcé de dissimuler ma surprise, même si je crains m’être trahi en sursautant comme un fou.

— Eh bien, voilà une chose que je n’entends guère. Il se trouve que, en parfait gentleman sudiste, j’ai horreur de faire faux bond aux gens. C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, monsieur Wate.

Il avait beau s’exprimer avec l’accent traînant du Sud, sa prononciation était impeccable. Quant à moi, j’étais ahuri de me retrouver devant lui. Le mystérieux Macon Ravenwood. En vérité, je m’étais attendu à tomber sur Boo Radley, un type rôdant autour de la maison en salopette, proférant une sorte de langue monosyllabique néandertalienne, de l’écume à la commissure des lèvres, même.

Sauf que Macon Ravenwood n’avait rien de Boo Radley. Il tenait plus d’Atticus Finch.

Il était habillé avec recherche, dans un style démodé 1942, genre. Les poignets de sa chemise blanche amidonnée étaient fermés par des boutons de manchette en argent d’une autre époque. Sa veste de smoking n’avait ni une tache ni un pli. Ses prunelles sombres et luisantes paraissaient presque noires ; elles étaient voilées, teintées comme les vitres du corbillard que conduisait Lena ; elles ne trahissaient rien, ne reflétaient rien ; elles se détachaient sur un visage blanc comme neige, marmoréen, d’une pâleur qui n’avait rien d’étonnant chez le reclus de la ville. Ses cheveux poivre et sel étaient gris sur les tempes, noirs comme ceux de sa nièce au sommet.

Il aurait pu être une star du cinéma américain d’avant l’invention du Technicolor. Voire le membre d’une famille royale régnant sur un petit pays dont personne n’aurait jamais entendu parler par ici. Sinon que Macon Ravenwood était bien de chez nous. Tel était le détail perturbant. Ce Vieux Fou de Ravenwood était le croquemitaine de Gatlin, un conte auquel j’avais eu droit dès la maternelle. Et pourtant, en cet instant, j’ai eu l’impression qu’il était moins ancré dans la réalité de notre ville que moi.

Sans me quitter des yeux, il a sèchement refermé le livre qu’il tenait. Il me fixait, mais c’était comme s’il regardait à travers moi, en quête de quelque chose. Il était peut-être doté d’une vision radiographique. Vu ce qui s’était produit en une semaine, tout était possible. Mon cœur battait si fort que j’étais sûr qu’il le percevait. Il m’avait ébranlé, et il en était conscient. Ni lui ni moi n’avons souri. Son chien, tendu, rigide, semblait attendre l’ordre de m’attaquer.

— Mais où ai-je été élevé ? a repris Macon Ravenwood. Entrez, monsieur Wate. Nous allions passer à table. Vous devez vous joindre à nous. Ici, à Ravenwood, le dîner relève toujours d’un certain protocole.

J’ai regardé Lena, espérant un conseil.

Réponds que tu n’en as pas envie.

C’est vrai, crois-moi.

— Non merci, monsieur. Je ne veux pas déranger. Je suis juste venu remettre ses devoirs à Lena.

Pour la deuxième fois, j’ai montré le classeur bleu.

— Sornettes ! Vous restez. Nous fumerons quelques bons cigares cubains sur la véranda après le repas. Ou êtes-vous plutôt amateur de cigarillos ? À moins que vous ne teniez pas à entrer dans la maison, bien sûr. Ce que je comprendrais aisément.

J’ai été incapable de déterminer s’il plaisantait ou non.

Lena a glissé un bras autour de la taille de son oncle. Aussitôt, l’expression de ce dernier a changé – le soleil transperçant soudain les nuages d’une journée maussade.

— Voyons, oncle M, cesse de te moquer d’Ethan. Il est mon seul ami, ici. Si tu l’effraies, je serai obligée d’aller vivre avec tante Del, et tu n’auras plus personne à martyriser.

— Il me restera Boo.

Le chien a levé des yeux interrogateurs sur son maître.

— Je l’emmènerai avec moi. C’est moi qu’il suit partout, je te rappelle, pas toi.

Ça a été plus fort que moi.

— Boo ? ai-je demandé. Le chien s’appelle Boo Radley ?

Macon s’est fendu d’un sourire extrêmement ténu.

— Mieux vaut lui que moi.

Rejetant la tête en arrière, il a éclaté d’un rire qui m’a fait tressaillir, car je n’aurais jamais imaginé ses traits compassés céder à la gaîté. Il a rouvert la porte.

— J’insiste, monsieur Wate, joignez-vous à nous. J’adore la compagnie, et voilà des siècles que Ravenwood n’a eu la joie d’accueillir un invité de notre merveilleux petit comté de Gatlin.

— Ne sois pas snob, oncle M, a riposté Lena avec un sourire embarrassé. Ce n’est pas leur faute si tu ne leur adresses pas la parole.

— Ce n’est pas la mienne non plus si j’apprécie la bonne éducation, une intelligence raisonnable et une hygiène corporelle passable. Pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs.

— Ne fais pas attention, m’a-t-elle dit. Il est dans l’un de ses mauvais jours.

— Laisse-moi deviner. Aurait-ce un rapport avec le proviseur Harper ?

Elle a acquiescé en levant les yeux au ciel.

— Le lycée a téléphoné. Je suis en sursis pendant qu’ils enquêtent. Une infraction supplémentaire, et je serai exclue.

Macon a eu un ricanement dédaigneux, comme si nous évoquions un aléa de la vie sans importance aucune.

— En sursis ? s’est-il exclamé. Comme c’est amusant. Le concept de sursis suppose une forme d’autorité légitime, à la source. (Il nous a poussés dans le hall de la demeure.) Un proviseur souffrant de surcharge pondérale, ayant à grand-peine décroché un diplôme de deuxième année à l’université, et une meute de femmes au foyer furibondes dont le pedigree ne saurait rivaliser avec celui de Boo Radley, ce n’est pas ce que j’appelle une autorité légitime.

Une fois le seuil franchi, je me suis arrêté net. Le hall était immense, très haut de plafond. Loin du prototype de maison individuelle banlieusarde dans lequel j’étais entré quelques jours auparavant. Un tableau monstrueusement grand, portrait de quelque femme à la beauté terrifiante et dotée de prunelles dorées luisantes, était accroché au-dessus des marches, lesquelles avaient cessé d’être contemporaines pour devenir un classique escalier suspendu qui semblait se soutenir tout seul. Scarlett O’Hara aurait pu le dévaler en robe à crinoline sans paraître le moins du monde déplacée. Des lustres en cristal à plusieurs étages dégoulinaient du plafond. La pièce regorgeait d’authentiques meubles victoriens, petits groupes de fauteuils aux broderies compliquées, consoles à dessus de marbre, fougères gracieuses. Une bougie était allumée sur toutes les surfaces disponibles. De vastes portes-fenêtres à claire-voie avaient été repoussées. Le vent soulevait des senteurs de gardénias, bouquets placés dans de hauts vases en argent artistiquement posés sur les guéridons.

L’espace d’une seconde, j’ai failli croire que j’avais une nouvelle vision, si ce n’est que le camée était soigneusement enveloppé dans son mouchoir, au fond de ma poche – j’ai vérifié qu’il y était toujours. L’horrible chien me contemplait depuis les marches.

Ça n’avait aucun sens. Ravenwood avait muté en quelque chose d’entièrement différent depuis ma dernière visite. Ça paraissait impossible. Comme si j’avais pénétré dans l’Histoire. En dépit de l’irréalité du spectacle, j’aurais aimé que ma mère le voie. Elle aurait adoré cet endroit. Sauf que, maintenant, ça avait l’air réel. Je savais que l’ancienne demeure devait ressembler à ça, la plupart du temps. Elle évoquait Lena. Le jardin entouré de murs. Greenbrier.

Pourquoi Ravenwood a-t-il changé ?

Qu’est-ce que tu racontes ?

Tu m’as très bien compris.

Macon nous a précédés dans une pièce qui, la semaine précédente, avait constitué le salon confortable. Ce soir-là, c’était une vaste salle de bal où une table aux longs pieds fourchus était dressée pour trois, comme si le maître de céans m’avait attendu. Dans son coin, le piano continuait à jouer tout seul. Un instrument mécanique, sans doute. La scène était sinistre : j’avais l’impression que les lieux auraient dû retentir du tintement des verres et de rires ; Ravenwood avait organisé la soirée de l’année, mais j’en étais l’unique invité.

Macon discourait. L’écho de ses paroles rebondissait sur les gigantesques murs peints à la fresque et les plafonds voûtés et sculptés.

— J’imagine que je suis snob, pérorait-il. Je méprise les villes. Je méprise les citadins. Ils ont l’esprit étroit et le derrière large. Autrement dit, leurs grosses fesses compensent leur misère intérieure. Ils sont pareils à la mauvaise nourriture. Bourrés de graisses mais, au bout du compte, affreusement insatisfaisants.

Un sourire s’est dessiné sur ses lèvres. Pas un sourire amical, toutefois.

— Pourquoi ne déménagez-vous pas, dans ce cas ? ai-je lancé.

Un agacement brutal s’était emparé de moi, me ramenant à la réalité – quelle qu’elle soit. Que je me moque de Gatlin était une chose. Que Macon Ravenwood le fasse en était une autre.

— Épargnez-moi les absurdités, monsieur Wate. C’est Ravenwood ma patrie, pas Gatlin. (Ce dernier mot craché, à croire qu’il était toxique.) Lorsque je m’éteindrai, libéré des entraves de cette existence, il me faudra trouver quelqu’un pour s’occuper de la propriété à ma place, puisque je n’ai pas d’enfants. Maintenir la demeure en vie a été mon but dès le départ. Un grand et terrible objectif. J’aime à me concevoir comme le conservateur d’un musée vivant.

— Inutile d’être aussi théâtral, oncle M.

— Inutile d’être aussi diplomate, Lena. Ton désir d’interagir avec ces ignorants de citadins m’échappera toujours.

Il n’a pas tort.

Es-tu en train de dire que tu ne veux plus que je vienne au lycée ?

Non. Je voulais seulement…

— Vous excepté, naturellement, a précisé Macon en me regardant droit dans les yeux.

Plus il parlait, plus vive était ma curiosité. Qui aurait pu deviner que ce Vieux Fou de Ravenwood était la personne la plus intelligente de la ville, après ma mère et Marian Ashcroft ? Et après mon père peut-être, si ce dernier daignait un jour refaire surface. J’ai tenté de discerner le titre du livre que tenait Macon.

— Qu’est-ce ? ai-je osé demander. Shakespeare ?

— Betty Crocker[9]. Une femme fascinante. J’essayais de me rappeler ce que les tristes individus constituant la population locale considèrent comme un dîner. J’étais d’humeur à me lancer dans une recette régionale, ce soir. Mon choix s’est arrêté sur du porc à l’étouffé.

Encore du porc. Rien que l’idée m’a donné la nausée.

Macon a tiré la chaise de Lena avec une galanterie appuyée.

— À propos d’hospitalité, Lena, tes cousins seront ici pour les Journées du Clan. N’oublions pas de prévenir Maison et Cuisine que nous serons cinq de plus.

— J’avertirai les employées de maison et de cuisine, si c’est ce que tu entends par là, oncle M, a rétorqué Lena avec irritation.

— Que sont les Journées du Clan ?

— Une bizarrerie familiale. Les Journées ne sont qu’une vieille coutume destinée à fêter les récoltes. Un Thanksgiving[10] précoce, si tu préfères. Laisse tomber.

Des visiteurs – famille ou autres – à Ravenwood ? C’était une surprise. Je n’avais jamais vu aucune voiture tourner à droite, au niveau de la fourche.

— À ta guise, s’est réjoui Macon. Mais puisque nous parlons de Cuisine, je meurs de faim. Je vais m’enquérir de ce qu’elle nous a concocté.

Au fur et à mesure qu’il parlait, j’entendais des bruits de casserole quelque part au-delà de la salle de bal.

— N’en fais pas trop, s’il te plaît, oncle M.

Macon Ravenwood s’est éclipsé. Le claquement de ses chaussures sur les parquets cirés a résonné encore longtemps. Décidément, cette demeure donnait à la Maison Blanche des allures de masure.

— Que se passe-t-il, Lena ?

— Comment ça ?

— Comment a-t-il su qu’il fallait mettre un couvert pour moi ?

— Il nous aura vus sur le porche.

— Et cet endroit ? Je suis venu ici, la fois où nous avons découvert le médaillon. Ça ne ressemblait en rien à ce que c’est aujourd’hui.

Dis-moi. Aie confiance.

Butée, elle a joué avec l’ourlet de sa robe.

— Mon oncle est passionné d’antiquités. Le décor ne cesse de changer. Est-ce vraiment important ?

Il était clair qu’elle n’avait pas l’intention de me révéler quoi que ce soit maintenant.

— Très bien. Tu n’as pas d’objection à ce que j’explore un peu ?

Elle a froncé les sourcils, n’a pas protesté cependant. Me levant de table, je suis allé dans le salon voisin. Il était : meublé comme un bureau – canapés, cheminée et quelques petites tables de travail. Boo Radley était allongé devant le feu. À l’instant où j’ai mis le pied dans la pièce, il a grondé.

— Gentil chien-chien.

Les grondements se sont amplifiés. J’ai reculé d’un pas. Aussitôt, la bête s’est tue et a reposé la tête sur la pierre de l’âtre. Sur la table la plus proche se trouvait un paquet enveloppé de papier kraft et ficelé. Je m’en suis emparé. Boo Radley a recommencé à grogner. La parcelle était estampillée Bibliothèque du comté de Gatlin. Ce sceau m’était familier. Ma mère avait reçu des centaines de colis comme celui-ci. Seule Marian Ashcroft se donnait la peine d’emballer un livre de cette façon.

— Vous vous intéressez aux bibliothèques, monsieur Wate ? Connaissez-vous Marian Ashcroft ?

Macon avait surgi près de moi. Il m’a repris le paquet, l’a contemplé avec délice.

— Oui, monsieur. Marian… le professeur Ashcroft était la meilleure amie de ma mère. Elles travaillaient ensemble.

Les yeux de mon interlocuteur se sont allumés, éclat passager vite éteint.

— Mais oui bien sûr ! Suis-je sot ! Ethan Wate. Je connaissais votre mère.

Je me suis figé. Comment cela était-il possible ? Une drôle d’expression a traversé le visage de Macon, comme s’il se souvenait d’une chose qu’il avait oubliée.

— À travers ses livres seulement, a-t-il ajouté. Je les ai tous lus. Au passage, si vous étudiez attentivement les notes de Jardinage et plantations : maîtres et esclaves sur une même terre, vous constaterez que plusieurs sources de cette étude proviennent de ma collection personnelle. Votre mère était brillante. Sa disparition a été une grande perte.

— Merci, ai-je réussi à articuler avec un pauvre sourire.

— Ce serait un honneur de vous montrer ma bibliothèque. Partager mes possessions avec le fils unique de Lila Evers me ferait très plaisir.

Je l’ai contemplé, interdit par le nom de ma mère dans la bouche de Macon Ravenwood.

— Wate, l’ai-je corrigé. Lila Evers Wate.

— Cela va de soi, a-t-il opiné avec bonne humeur. Mais chaque chose en son temps. D’après le brusque silence régnant dans la cuisine, j’en déduis que le dîner a été servi.

Me tapotant l’épaule, il m’a ramené dans la salle de bal. Lena patientait à table. Elle était en train de rallumer une bougie que le vent vespéral avait soufflée. Un festin élaboré nous attendait. Je n’avais pas la moindre idée de la façon dont il s’était retrouvé là. Je n’avais vu personne d’autre que nous trois. Une maison entièrement nouvelle, un chien-loup, et maintenant ça… Dire que j’avais cru que Macon Ravenwood constituerait la plus étrange bizarrerie de la soirée !

Il y avait là de quoi rassasier les FRA, les congrégations religieuses de toute la ville et l’équipe de basket par-dessus le marché. Sinon que ce n’était pas le genre de nourriture servie d’ordinaire à Gatlin. Un des mets semblait être un cochon entier rôti, une pomme fourrée dans la gueule. Un plat de côtes dont les extrémités étaient emmaillotées de décorations en papier voisinait avec une oie désossée couverte de châtaignes. Les bols de sauce et de crème côtoyaient les assiettes de petits pains et les saladiers de feuilles de chou frisé et de betterave ainsi que différents accompagnements que je n’aurais su identifier. Naturellement, il y avait du porc à l’étouffé, qui semblait particulièrement déplacé au milieu de tout ce raffinement. À la perspective de ce que j’allais devoir engloutir rien que par politesse, j’ai réprimé un haut-le-cœur. Je me suis tourné vers Lena.

— Oncle M, a-t-elle soupiré, c’est beaucoup trop.

Roulé en boule au pied de la chaise de la jeune fille, Boo a agité la queue, ravi de la fête à venir.

— Balivernes ! Ceci est une occasion spéciale. Tu t’es fait un ami. Cuisine sera offensée si nous ne mangeons pas tout ça.

Lena m’a regardé avec anxiété, à croire qu’elle avait peur que, sous prétexte de me rendre aux toilettes, j’en profite pour déguerpir. Haussant les épaules, je me suis servi. Avec un peu de chance, Amma m’autoriserait à sauter le petit déjeuner le lendemain.

J’ai décidé qu’il était temps de produire le médaillon quand Macon en a été à son troisième verre de scotch. À la réflexion, si je l’avais vu remplir son assiette, je ne l’avais pas vu la vider. Tout se passait comme si la nourriture se volatilisait après une ou deux minuscules bouchées. Boo Radley était sans doute le chien le plus verni du comté. J’ai posé ma serviette.

— Accepteriez-vous que je vous pose quelques questions, monsieur ? Vous semblez être féru d’histoire, et je peux difficilement interroger ma mère, n’est-ce pas ?

Non, Ethan !

Il ne s’agit que de quelques questions.

Il n’est au courant de rien.

Nous devons essayer, Lena.

— Bien sûr, a répondu Macon en buvant une gorgée de whisky.

Tirant le camée de la bourse donnée par Amma, j’ai soigneusement déplié le mouchoir. Aussitôt, les flammes de toutes les bougies sont mortes. Les lampes ont grésillé avant de s’éteindre à leur tour. Même le piano s’est tu.

Ethan ! Arrête ça !

Je n’ai rien fait.

La voix de Macon a retenti dans l’obscurité.

— Qu’avez-vous dans la main, fiston ?

— Un médaillon, monsieur.

— Cela vous gênerait-il de le remettre dans votre poche ?

Son ton était mesuré, mais je devinais qu’il déployait beaucoup d’efforts pour se contrôler. Sa loquacité affable s’était évaporée. Il s’exprimait avec une urgence qu’il tentait de dissimuler. J’ai obtempéré. De l’autre côté de la table, Macon a effleuré les chandeliers. Une à une, les bougies se sont rallumées. Le festin avait disparu. À la lueur des chandelles, Macon avait l’air sinistre. Il se taisait – une première depuis mon arrivée –, comme s’il soupesait les choix qui s’offraient à lui sur une balance invisible qui, d’une façon ou d’une autre, déciderait de l’équilibre de nos destins. Il était temps que je m’en aille. Lena avait eu raison, ma venue avait été une mauvaise idée. Macon Ravenwood avait sûrement de bonnes raisons de ne pas quitter sa maison.

— Je vous demande pardon, monsieur. J’ignorais ce qui allait se produire. Quand je le lui ai montré, ma gouvernante, Amma, a réagi comme si… comme si cet objet était très puissant. Mais lorsque Lena et moi l’avons trouvé, il ne s’est rien passé.

N’ajoute rien. Ne mentionne surtout pas les visions.

T’inquiète. Je voulais seulement découvrir si j’avais vu juste à propos de Genevieve.

C’était vrai. Je n’avais pas envie de raconter quoi que ce soit à Macon, rien qu’envie de partir. Je me suis levé.

— Je crois que je ferais mieux de rentrer chez moi, monsieur. Il est tard.

— Ayez la bonté de me décrire ce médaillon, je vous prie.

C’était un ordre. Je n’ai pas répondu. C’est Lena qui a fini par s’y résoudre.

— Il est vieux et abîmé, avec un camée. Nous sommes tombés dessus à Greenbrier.

— Tu aurais dû me dire que tu étais allée là-bas, a riposté son oncle en tripotant nerveusement sa bague en argent. Greenbrier n’appartient pas à Ravenwood. Je ne suis pas en mesure de t’y défendre.

— Je ne risquais rien. Je l’ai senti.

Risquer quoi ? L’attitude de Macon était quelque peu outrée, non ?

— Non, tu n’étais pas en sécurité. Cet endroit est hors limites. Il n’est plus contrôlable. Par personne. Tu ignores bien des choses, Lena. Et lui – il m’a désigné d’un geste las – ne sait rien. Il ne te protégera pas. Tu n’aurais pas dû le mêler à tout ça.

Je suis intervenu. Bien obligé. Cet homme parlait de moi comme si je n’étais pas là.

— Cela me concerne aussi, monsieur. Le bijou comporte deux séries d’initiales. ECW. Pour Ethan Carter Wate, mon arrière-arrière-arrière-arrière-grand-oncle. Les autres sont GKD. Or, nous sommes convaincus que le D est là pour Duchannes.

Tais-toi, Ethan !

Je ne pouvais pas, cependant.

— Vous n’avez aucun droit de nous cacher des choses, car quoi qu’il arrive, cela nous arrive à tous les deux. Et, que ça vous plaise ou non, ça arrive maintenant.

Un vase de gardénias a volé avant de s’écraser contre un mur. Le Macon Ravenwood des contes de mon enfance commençait à se dévoiler.

— Vous n’avez pas la moindre idée de ce dont vous parlez, jeune homme.

Il m’a fixé avec une sombre intensité qui a fait se dresser les cheveux sur ma nuque. Il avait du mal à garder son calme, maintenant. J’avais dépassé les bornes. Se levant, Boo Radley s’est mis à arpenter l’espace derrière son maître, l’air de traquer sa proie, ses prunelles trop rondes et trop familières à mon goût.

Ne dis plus rien.

Agacé, Macon a plissé les paupières. La star de cinéma avait cédé la place à un personnage beaucoup plus ténébreux. J’aurais aimé m’enfuir en courant, mais j’étais pétrifié, comme hypnotisé. Je m’étais trompé au sujet de Ravenwood Manor et de Macon Ravenwood. Les deux m’effrayaient. Lorsqu’il a enfin repris la parole, le maître des lieux a semblé s’adresser à lui-même.

— Cinq mois. Vous doutez-vous seulement des extrémités jusqu’aux quelles je suis prêt à aller pour veiller sur sa sécurité pendant cinq mois ? Du prix qu’il m’en coûtera ? De l’épuisement que cela signifiera pour moi, de ma destruction, peut-être ?

Sans un mot, Lena s’est glissée vers lui et a posé la main sur son épaule. Alors, la tempête qui agitait ses yeux a disparu aussi vite qu’elle avait surgi, et il s’est ressaisi.

— Amma me semble être une femme d’une grande sagesse. Si j’étais vous, je suivrais ses conseils. Je remettrais cet objet à l’endroit où je l’ai trouvé. Je vous saurai gré de ne plus le rapporter ici.

Se levant, il a jeté sa serviette sur la table avant de continuer :

— Je crois que notre petite visite de ma bibliothèque devra attendre, vous n’êtes pas de cet avis ? Lena ? Raccompagne ton ami. Cette soirée a été extraordinaire, bien sûr. Particulièrement éclairante. N’hésitez pas à revenir, monsieur Wate.

Sur ce, la pièce a été plongée dans le noir, et il s’est volatilisé.

 

J’ai filé comme si j’avais le diable à mes trousses. Je voulais m’éloigner du dangereux oncle de Lena et de sa maison des horreurs. Bon sang ! Que venait-il de se produire ? Lena m’a poussé vers la porte, comme si elle craignait qu’il ne m’arrive quelque chose si je ne m’en allais pas très vite. Toutefois, quand nous avons traversé le hall, j’ai remarqué un détail qui m’avait échappé.

Le médaillon. La femme aux yeux dorés fascinants du tableau arborait le camée. J’ai attrapé Lena par le bras. Elle a vu. Elle s’est figée.

Il n’y était pas tout à l’heure.

Comment ça ?

Ce portrait, je le connais depuis que je suis toute petite. Je suis passé devant à des milliers de reprises. Jamais cette femme n’a porté le médaillon.

16 Lunes
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